
RÖ©gis Boyer. Les vikings, 800-1050. Paris: Editions Hachette, 2003. 376 p. EUR 20.00 (paper), ISBN 978-2-01-235690-0.
Reviewed by Laurent Albaret (ATER Histoire médiévale Université d'Artois)
Published on H-Francais (October, 2003)
Régis Boyer reste encore aujourd'hui un des meilleurs connaisseurs de la littérature de l'Europe du Nord, ancienne et moderne, dont il a traduit de nombreuses ouvres. Né en 1932, il a été lecteur de français auprès de plusieurs universités scandinaves et a occupé une chaire de langues, littératures et civilisation scandinaves à l'université de Paris IV à partir de 1970, tout en étant directeur de l'Institut d'études scandinaves dans la même université depuis 1980.
Ce livre sur les Vikings peut surprendre, au vu de la bibliographie importante commise par notre auteur. Malgré une trentaine d'ouvrages depuis 1979, l'édition en question, dans la séduisante collection « La vie quotidienne », remet néanmoins au goût du jour notre intérêt pour les Vikings. Il est cependant dommage que cet ouvrage reprenne dans son intégralité l'édition--certes introuvable--parue sous un titre sensiblement identique aux éditions Plon en 1992 ; la bibliographie non remise à jour et s'arrêtant à cette date en pâtit grandement et les dernières recherches sur le sujet, notamment archéologiques, étant de fait ignorées. Quoi qu'il en soit, Régis Boyer revendique une nouvelle fois, pour notre plaisir de lecteur, la remise en cause de l'imagerie traditionnelle du viking et nous dresse un portrait de la vie quotidienne de ce scandinave hors du commun.
Qui est le viking selon notre spécialiste ? Un personnage peu connu, mal connu en raison des sources lacunaires--et qui le reste encore aujourd'hui--, témoignages qui nous délivrent une histoire fragmentée mais un aperçu puissant de la vie quotidienne des communautés, de leurs pratiques maritimes ou de l'importance de la vie intellectuelle de cette civilisation qui n'a existé que sur deux siècles et demi (env. 800--env. 1050). L'homme est indubitablement scandinave, commerçant avant tout--marchand d'esclaves, de peaux et de fourrures--, grand navigateur avec son légendaire knörr ou langskip (et non drakkar, création de la langue française que dénonce l'auteur), pillard profitant de l'effondrement de l'empire carolingien afin d' « acquérir des richesses » (afla sér fjàr) selon les inscriptions runiques conservées.
Mais les sources sérieuses, ténues selon l'auteur, doivent être prises avec prudence, en raison d'une chronologie vacillante et d'une approximation des informations proposées par les nombreux poèmes eddiques et les sagas contemporaines ou tardives (les plus connues datent du XIIIe siècle). Si l'archéologie complète voire apporte actuellement les bribes de la vie quotidienne du viking, la datation de l'objet est délicate--par la courte durée de la civilisation viking--et l'origine de ce dernier prête parfois à discussion, en raison du commerce développé et florissant des vikings, mais aussi des butins conséquents ramenés dans leurs villages. La numismatique, la runologie ou encore la philologie apportent elles aussi leurs contingents de découvertes depuis plusieurs années, mais la difficulté d'interprétation et de datation est constamment présente, la certitude n'étant autorisé que par la conjonction de ces disciplines ; elle reste une gageure selon Régis Boyer qui néanmoins s'y frotte dans les chapitres suivants et brise un certain nombre d'idées reçues. Parmi ces dernières, la définition de la famille (aett ou kyn) reste une des plus tenaces. Ainsi, selon lui, fondée sur la cellule familiale dans un sens large (amis, parents, indigènes, esclaves, personnels.), la société viking ne repose en rien sur une tripartition souvent avancée et ce malgré la présence d'esclaves qui sont par ailleurs rapidement affranchis ou de « rois » racontés dans les sagas, personnages dont le rôle ne semble pas si important dans la société scandinave. Le viking est un homme libre (boendr), que Régis Boyer décrit comme « paysan-pêcheur-propriétaire », compétent en tant que forgeron, menuisier ou médecin, qui se définit à l'intérieur de sa famille, et qui, le moment venu, va en expédition viking (i vikingu) ou en voyage de commerce, car c'est un marin confirmé, un « roi des mers » (saekonungr). Son action guerrière est moindre, provoquée par la nécessité car il reste avant tout un commerçant, dans ses terres ou à l'extérieur. La place de la femme, contrairement à une autre idée reçue, n'est pas négligeable par son autorité morale sur la famille même si elle est exclue des charges publiques. Quant à la religion, Régis Boyer, préférant l'expression de « pratiques religieuses », aborde le problème, délicat en raison du manque de sources, mais donne cependant un aperçu du panthéon des dieux et une description des cultes connus avec force détails.
L'habitat viking principal reste la ferme (boer) ayant des bâtiments multiples sans grandes ouvertures, aux murs courbes, construits avec des blocs de tourbe. Unité de base de l'implantation humaine, la ferme possède des bâtiments spécialisés (étable, laiterie, forge, hangar à bateaux.) ; le village ou la ville restent inconnus pour la civilisation viking. Le mobilier est modeste, limité à l'utilitaire (table, bancs, rares armoires). L 'habillement du viking est sobre, loin des films américains, pratique avec des vêtements bouffants, souvent en grosse laine car de fabrication « domestique » grâce au métier à tisser vertical (skàli) présent dans toutes les fermes. Partant de ces éléments de la vie quotidienne, Régis Boyer tente de reconstituer « l'année du viking », mois après mois, au travers des grandes dates de sa vie, des célébrations et des rites. Si l'histoire est belle, l'auteur se fonde principalement sur des sources islandaises qu'il généralise à l'ensemble du Nord viking. La non-prise en compte des découvertes récentes--principalement archéologiques--sur le monde scandinave fait que l'on peut considérer avec quelque prudence les affirmations avancées. Reste l'interprétation minutieuse de la vie en bateau du viking que nous décrit Régis Boyer. Ce scandinave, marin d'exception, possède un navire de qualité, commercial en général, utile pour les « coups de main » (strandhögg) qui ont marqué l'Occident médiéval dès la fin du VIIIe siècle. La nécessité d'une embarcation dans un pays de lacs, de rivières et de fjords a été au premier plan des préoccupations du viking ; l'élaboration d'un bateau utile, rapide, d'un faible tirant d'eau, à voiles et à rames, ayant de nombreuses variantes, a répondu à cette demande. Moyen de transport, de déplacement, de conquêtes (du Groenland à la mer Caspienne) ou de découvertes, le navire viking est relativement bien connu par l'archéologie funéraire (plusieurs vikings furent enterrés dans un bateau en guise de cercueils) et maritime, son utilisation-- particulièrement pour le combat naval--restant encore flou aujourd'hui.
D'une écriture agréable, parsemé d'explications précises et de nombreux extraits de textes originaux, appuyé par un court lexique mais introduit par une cartographie succincte (qui ne tient évidemment pas compte des travaux de J. Haywood publiés en 1996), l'ouvrage de Régis Boyer reste néanmoins un livre utile et accessible sur un domaine historique complexe, mal connu et qui a souvent subi les productions de la littérature romanesque ou ésotérique. Son utilisation par l'enseignant, notamment pour les aspects de la vie quotidienne, est à notre avis nécessaire lors d'une présentation générale des civilisations scandinaves.
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Citation:
Laurent Albaret. Review of Boyer, RÖ©gis, Les vikings, 800-1050.
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