Pier Luigi Porta. Milano e la cultura economica nel XX secolo I--Gli anni 1890-1920. Milano: Franco Angeli, 1998. 420 pp. EUR 25,82 (cloth), ISBN 978-88-464-0742-9.
Reviewed by Cristina Accornero (EHESS, Paris / Politecnico, Torino)
Published on H-Urban (March, 2000)
Cet ouvrage reunit l'ensemble des contributions de la recherche coordonnee par Pier Luigi La Porta (CIRIEC -[1], Universite d'Economie de Milan) sur le role de Milan dans l'histoire de la pensee economique et dans le processus d'industrialisation de l'Italie. C'est au thème de Milan comme capitale financière, tres forte dans l'historiographie, que les auteurs de ce livre se sont interesses. L'exemple le plus connu de cette historiographie est sans doute le texte du geographe francais Etienne Dalmasso, Milano capitale economica d'Italia ,[2] qui analyse la fonction de leadership de la ville dans la region et dans la nation. La publication recente de la Storia di Milano [3] reprend a nouveau cette image de capitale morale et de centre financier du pays, illustrant ainsi la perennite du theme.
Le projet de ce travail de groupe est ne d'une interrogation sur les modes d'elaboration et de transmission du savoir economique, et sur son influence sur la communaute urbaine milanaise. Cette approche renvoie aux travaux consacree a l'histoire des centres de savoir et d'instruction aux lendemains de l'unite italienne,[4] et s'inscrit dans les perspectives alors ouvertes pour l'histoire de la formation des elites et de la culture au debut du siecle. La premiere partie du volume analyse la formation des institutions academiques (Politecnico et l'Universite d'Economie Bocconi) et l'education des elites milanaises en les mettant en relation avec les entreprises de diffusion de la culture economique, notamment a travers les periodiques specialises (Rivista economica, La vita industriale e commerciale, Capitale e lavoro, L'economia nazionale, L'Italia commerciale, L'impresa moderna_), avec le role culturel des entrepreneurs et avec la culture technique des ingenieurs. On rencontre alors les protagonistes politiques et economiques qui participent au developpement de la nation: Carlo Cattaneo, Giuseppe Colombo, Luigi Luzzatti, Giovanni Montemartini, Luigi Einaudi, Ulisse Gobbi, Luigi Cossa.
Dans ce contexte, on peut reperer trois elements de la culture economique a Milan qui se singularisent par rapport au developpement du systeme academique italien. L'article de Pier Luigi Porta demontre, d'abord, l'exigence de la bourgeoisie milanaise d'avoir une institution nouvelle, l'Universite Bocconi, qui puisse devenir le lieu privilegie de formation du dirigeant industriel. Cette experience doit etre mise en relation avec le contexte europeen et avec les conditions sociales et politiques de l'Italie, qui changent avec l'industrialisation et la modernisation, surtout au Nord du pays. Les experiences etrangeres sont un modele de comparaison a propos de l'institutionnalisation de l'economie. L'histoire d'une discipline doit aussi prendre en compte l'histoire des lieux d'enseignement dans les nations a 'plus forte legitimite' (en termes de geopolitique du savoir). Ici, il faut se referer en Allemagne, aux ecoles des hautes etudes commerciales, les Handelshochschulen ; aux Etats Unis, aux exemples de Harvard, Michigan et Wisconsin ; en Angleterre, a l'activite didactique de Alfred Marshgall a Cambridge et a la London School of Economics and Political Science, avec, notamment, les roles de Joseph Chamberlain et de Sidney Webb dans la constitution de l'enseignement de l'economie. Le deuxieme element aborde une question essentielle de l'epoque, celle de l'ideal reformateur des sciences sociales dans l'organisation du monde du travail. Cet ideal s'exprime notamment dans la creation de deux institutions essentielles a Milan, qui emanent respectivement des milieux catholiques et socialistes: l'Ecole des Sciences Sociales et la Societa Umanitaria. L'Ecole des Sciences Sociales, dans le cadre du seminaire diocesain, a pour but la formation d'une doctrine qui rapproche l'economie et l'action sociale, en desaccord avec le reformisme socialiste et les pratiques de bienfaisance. Cette position politique et l'attention portee a la question sociale sont a l'origine de la creation de l'Universite Catholique du Sacre Coeur en 1921. La Societe Umanitaria, fondée en 1902, est elle l'expression pratique du socialisme reformiste, et concentre son action sur l'organisation de la formation technique, du placement ouvrier et des habitations ouvrieres. Enfin, derniere consideration, le cas de l'instruction technique et scientifique, avec en particulier l'experience du Politecnico, dans lequel l'introduction de l'enseignement de l'economie politique et industrielle participe a la formation d'une categorie nouvelle de techniciens cultives, que l'on souhaite capables de diriger et controler le developpement economique.
Un autre element, qui caracterise la culture economique milanaise, est le rapport (de competition ?) avec les institutions academiques et culturelles de Turin. En particulier au au Laboratoire d'Economie Politique de Salvatore Cognetti de Martiis, centre positiviste de diffusion des sciences sociales et economiques et lieu de travail de Luigi Einaudi, Achille Loria, Pasquale Jannacone. Dans les milieux academiques milanais et turinois, le Laboratoire et son organe officiel, la revue La Riforma Sociale, sont les sieges d'elaboration des theories economiques et des debats sur la question sociale et sur les themes d'actualite, comme par exemple la theorie des elites de Vilfredo Pareto, la reforme de l'Etat, la municipalisation ou le probleme du logement de l'ouvrier et du pauvre.[5]
La deuxieme partie du volume change l'echelle d'observation et examine avec attention les contacts entre l'universite, l'administration publique et les entrepreneurs, en bref, le milieu economique urbain: municipalite, finance, syndicat, banques. Milan n'a pas ete un centre d'elaboration de theories economiques, et la culture economique de la ville est plutot marquee du sceau de la pratique. Ce role se lit assez clairement dans les vicissitudes du gouvernement municipal. L'article de Claudio Pavese demontre la specificite de la municipalite, comme "lieu de realisation de la politique économique locale ". C'est d'ailleurs cette impulsion municipale qui va concourire a changer les dynamiques economiques. La promotion et la gestion municipale des services publics (transports et energie), l'impulsion donnee a la modernisation, la participation des entrepreneurs et des techniciens a la vie politique sont le resultat de l'action coordonnee des institutions, des industriels et du milieu academique, qui font de Milan a la fois un centre economique, et un centre de "l'economie appliquee ". Le cas du maire Ettore Ponti (1905-1910) represente l'exemple d'une politique d'innovation économique culturelle, avec une organisation de l'administration selon le modele de l'industrie et de "l'economie mise en pratique ". Le programme municipal de Ponti arrive a realiser un systeme de services et des infrastructures, capable de satisfaire le developpement economique, demographique et d'urbanisation de la ville jusqu'aux annees 1950-1960.
Les contributions historiographiques de cet ouvrage collectif suscitent des questions de caractere epistemologique, qu'il vaut la peine de souligner. Comment l'etude de la culture economique peut expliquer l'histoire urbaine d'une ville ? Comme le suggere Bernard Lepetit, l'espace est " l'enjeu de conflits, lieu de developpement de strategies destinees a assurer une domination qui peut etre economique."[6] Parmi les formes differentes de representation urbaine, on peut avoir un modele qui concerne l'histoire de l'elaboration et de la diffusion de la la culture economique et technique mais aussi sa contribution a l'organisation de l'espace. Cette approche remet en question la demarche habituelle, ici l'historiographie de Milan capitale economique, qui utilise le mythe (industriel, financier, culturel ou technique) comme explication du renouvellement urbain. Dans le cas de l'Italie, l'absence d'un veritable centre hegemonique conditionne forme une geographie de petites capitales, qui sont en competition avec le pouvoir central. L'exemple de Turin est, par rapport a Milan, emblematique. L'histoire de l'urbanisation de Turin est generalement presentee comme l'histoire du triomphe ineluctable d'un avenir industriel moderne. Si dans l'experience milanaise l'action publique de la municipalite corresponde a la realisation de la theorie economique, dans le cas turinois le binome industrialisation/urbanisation n'est pas suffisant pour explique l'essor de la ville.[7] Meme ici, l'institution des ecoles techniques, la creation du Politecnico, le milieu reformateur du Laboratoire de Economie politique sont des elements qui peuvent aider a reconstruire une histoire de l'espace, " objet de representations contrastees, fragments de systemes de pensee plus vastes" (B.Lepetit).
Notes
[1]. Centro italiano di ricerche e d'informazione sull'economia pubblica, sociale e cooperativa : Les contributions de l'ouvrage appartiennent aux chercheurs d'Histoire economique et d'Economie politique de l'Universite de Milan.
[2]. Milano : Franco Angeli 1972
[3]. Istituto dell'Enciclopedia Italiana G.Treccani: Milano, 1999, XVII vol
[4]. C.G.LACAITA, Istruzione e sviluppo industriale in Italia 1859-1914, Firenze : Giunti, 1973 ; R.MAIOCCHI, Il ruolo delle scienze nello sviluppo industriale italiano, dans G. Micheli (sous la dir.) Scienza e tecnica,, Annali della Storia d'Italia, Torino : Einaudi 1980 :C.G.LACAITA, " Ingegneri e scuole politecniche nell'Italia liberale ", dans S.SOLDANI, G.TURI (sous la dir.), Fare gli italiani. Scuola e cultura nell'Italia contemporanea, vol.I. La nascita dello Stato nazionale, Bologna : Il Mulino, 1993 ;C.C.CALCAGNO, " Scuole per la formazione degli ingegneri e modernizzazione in Italia tra Otto e Novecento ", dans M.SALVATI (sous la dir.) Municipalismo e scienze sociali, Bologna : Clueb, 1993 ; E.DECLEVA, C.G.LACAITA, A.VENTURA, Innovazione e modernizzazione in Italia fra Otto e Novecento, Milano : Franco Angeli,1995.
[5]. C.ACCORNERO, La citta come organismo collettivo. La questione del municipalismo e dell'urbanismo nelle pagine de La Riforma Sociale, dans <<Bollettino Storico-Bibliografico Subalpino >>, n.2, 1999. Cette recherche continue avec une publication à paraître dans le cadre du séminaire CNR, La Riforma Sociale (1894-1935) nel sistema politico, sociale e politico-economico italiano e internazionale , sous la direction de Gian Mario Bravo et Corrado Malandrino. Fondazione Luigi Einaudi, Torino.
[6]. B.LEPETIT, Les villes dans la France moderne (1740-1840), Paris, Albin Michel, 1988
[7]. C. ACCORNERO, Politiques municipales et organisation de l'espace urbain a Turin au debut du XX siecle, Thèse en cours sous la direction de C.Topalov et M. Aymard, Formation doctoral Sciences Sociales, EHESS, Paris.
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Cristina Accornero. Review of Porta, Pier Luigi, Milano e la cultura economica nel XX secolo I--Gli anni 1890-1920.
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