
Nicholas Papayanis. Planning Paris before Haussmann. Baltimore: Johns Hopkins University Press, 2004. xiii + 336 pp. $55.00 (cloth), ISBN 978-0-8018-7930-2.
Reviewed by Julie Allard (Department of History, Universite du Quebec a Montreal)
Published on H-Urban (May, 2005)
Reconsidering the Origins of Modern Urban Planning in Paris/Nouveau regard
Professeur emerite de l'Universite de la ville de New York (Brooklyn), examine les reflexions sur l'amenagement de Paris avant que la ville ne soit transformee par les grands travaux diriges par le baron Georges-Eugene Haussmann, nomme par Napoleon III a la prefecture du Departement de la Seine en 1853. La these defendue par Papayanis veut qu'avant l'arrivee d'Haussmann a Paris et les transformations majeures qu'il entreprit dans la capitale, les intellectuels de la premiere moitie du 19e siecle aient deja discute du reamenagement de la ville dans le cadre d�un nouveau modernisme qui jeta les fondements des grands travaux entrepris par le celebre prefet. Selon l'auteur, il ne s'agit de remettre en cause ni les realisations d'Haussmann ni le role preponderant qu'il joua dans la transformation de la capitale, mais plutot de reevaluer l'originalite de ses idees sur la ville et l'amenagement urbain (p. 9). L'idee selon laquelle la reflexion sur la modernisation de Paris n'a pas debute avec Haussmann n'est pas tout a fait neuve : plusieurs historiens etablissaient deja un lien entre, d'une part, les preoccupations d'hygiene et de circulation exprimees par les commentateurs du 18e siecle et, d'autre part, les propositions de projets et les travaux entrepris sous la Restauration et la monarchie de Juillet. Ce qui faisait pourtant encore defaut, jusqu'a la parution de l'ouvrage de Papayanis, c'est une description detaillee, specifiquement consacree a Paris, des Idees sur la ville et de l'emergence de l'urbanisme moderne dans la premiere Moitie du 19e siecle.
Les etudes sur la modernite et la modernisation de la capitale Considerent couramment le Second Empire comme un moment crucial dans la formation d'une nouvelle conception de la ville et de son amenagement. Le role d'Haussmann y apparait determinant et l'historiographie abondante dont il est l'objet temoigne de l'interet qui lui est porte : ses memoires viennent d'etre reedites, plusieurs biographies lui ont ete consacrees et de nombreuses expositions et etudes se sont interessees a ses realisations.[1] Plusieurs de ces ouvrages reconnaissent l'apport des propositions apparues dans la premiere moitie du siecle a la constitution du systeme haussmannien. Pourtant, les solutions mises de l'avant pendant cette periode sont rarement examinees en detail et un nombre relativement faible d'ouvrages leur a ete consacre. Jusqu'a la parution de l'ouvrage de Papayanis, l'entree la plus notable dans cette bibliographie etait l'ouvrage dirige par Karen Bowie, La Modernite avant Haussmann, issu d'un colloque tenu en 1999 rassemblant historiens, urbanistes et litteraires, qui examine les transformations physiques de la ville, mais aussi les mutations dans les manieres de se representer et de penser la ville pendant la premiere moitie du 19e siecle.[2]
Papayanis prend comme point de depart une appreciation courante voulant qu'Haussmann ait ete un acteur cle dans l'emergence d'une vision nouvelle de la ville, la metropole industrielle moderne, et l'un des fondateurs de l'urbanisme moderne. Certains elements de cette interpretation, que l'auteur retrouve notamment dans les ecrits de Francoise Choay,[3] meritent toutefois selon lui d'etre reconsideres. Si elle constitue un point de depart utile, cette interpretation ne resisterait pas a l'examen d'un corpus elargi d'ecrits sur la ville et son amenagement produits pendant les dernieres decennies du 18e siecle et la premiere moitie du 19e siecle. Trois elements de cette interpretation sont specifiquement remis en question par Papayanis: (1) le traitement de la premiere moitie du 19e siecle comme une periode homogene, (2) l'idee selon laquelle l'histoire de l'amenagement urbain moderne ne commencerait qu'avec le 19e siecle et (3) l'utilisation du terme pre-urbanisme pour designer les reflexions de la premiere moitie du siecle qui tendrait a suggerer que celles-ci ne furent qu'un simple prelude a Haussmann ou a l'urbanisme moderne (p. 5).
Dans le premier chapitre, Papayanis retrace les racines des idees modernes sur la ville et l'amenagement urbain a travers un corpus de textes sur les embellissements de Paris au 18e siecle, une notion qui prefigure celle d'urbanisme. Selon l'auteur, une mutation importante de la representation de la ville ideale s'opera pendant cette periode, meme si elle ne donna pas lieu a des transformations majeures du tissu urbain parisien. A la notion classique d'embellissement, qui considerait la ville comme un espace clos, site de magnificence et de splendeur, se substitua en effet une vision de la ville concue comme un espace ouvert et dynamique qui devait avant tout etre pratique, utile et securitaire (p. 16). Pour le demontrer, Papayanis decompose la notion d'embellissement en cinq categories--l'amenagement global de la ville, les infrastructures, la sante publique, l'ordre et la securite et le commerce--autour desquelles il regroupe les textes sur les embellissements de la capitale. Son analyse demontre que les ecrits du 18e siecle, s'ils ne peuvent eux-memes etre qualifies de modernes, poserent neanmoins des problemes et esquisserent des solutions qui furent ensuite reprises et developpees par les theoriciens de la premiere moitie du 19e siecle. Parmi les constats qui furent alors formules, notons, d'une part, le besoin d'ameliorer les rues pour favoriser le commerce, la circulation, l'hygiene et la securite dans la ville et, d'autre part, la necessite d'etablir un projet de reforme global pour guider les projets (p. 60-61).
Les chapitres subsequents servent a etayer la these du developpement et de l'articulation, dans la premiere moitie du 19e siecle, d'une vision moderne de la ville et d'un modele d'amenagement urbain progressif, a quelques pas seulement de l'urbanisme moderne. Chez les elites, qui reflechissaient et ecrivaient alors sur la ville, on constata largement l'inadequation entre la forme de la ville et les besoins nouveaux crees par une forte augmentation de la population et une industrialisation sans precedent. Les debats sur la reforme de l'environnement urbain, envisagee par plus d'un comme partie de la solution aux maux de la ville, furent ainsi l'occasion de presenter des projets precis et detailles, caracterises selon Papayanis par le sentiment d'urgence qu'ils degagent (p. 6). Sont notamment abordees dans ces propositions les questions de la surpopulation des quartiers centraux, des dangers d'epidemie, du deplacement des groupes bien nantis vers le nord-ouest de la capitale, de l'implantation des infrastructures ferroviaires et de la localisation des Halles et de leur eventuelle extension. C'est sur ce materiau fertile que Papayanis s'appuie largement pour construire son modele. Au fil des pages, il met ainsi a jour l'existence d'une reflexion qui, malgre la presence de certains elements utopiques, est fortement ancree dans la perception de problemes urbains reels et dont les propositions considerent la ville de facon organique et l'amenagement urbain comme un moyen rationnel pour la transformer. Le tableau qu'il dresse est riche et revele la coexistence et l'influence mutuelle de formes distinctes d'amenagement--le fonctionnalisme (chapitre 2), le saint-simonisme (chapitre 3) et le fourierisme (chapitre 4)--qui contribuerent de facon originale aux debats sur la forme et la fonction de la ville. Le modele propose par Papayanis n'est ni monolithique ni statique puisqu'il met egalement en valeur l'evolution dans le temps de chacune de ces trois formes d'amenagement. Dans l'ensemble, deux etapes successives se distinguent. La premiere voit le traite architectural ceder la place a des textes plus techniques qui se penchent sur la "question sociale" pendant les premieres annees du siecle et le debut de la Restauration. La seconde, a partir de la decennie 1840, se caracterise quant a elle par la place centrale qu'occupent la circulation et la communication, dans la ville et au-dela, dans les plans et projets d'amenagement (p. 62-63). A cet egard, le chapitre 5, qui examine les propositions pour l'amenagement du reseau urbain souterrain, constitue une illustration probante de la teneur des discussions pendant cette derniere periode, tout en fournissant un parallele interessant aux debats qui etaient alors menes pour l'amenagement de la surface de la ville.
Toutes ces discussions trouvent une synthese dans les travaux menes par la Commission des embellissements de Paris, examines dans le dernier chapitre de l'ouvrage.[4] Le rapport de cette commission, creee par Napoleon III en aout 1853, quelques semaines seulement apres la nomination d'Haussmann a la prefecture, constitue selon Papayanis un document particulierement signifiant parce que, d'une part, il propose une vision pour un nouveau Paris qui repose sur les discussions menees pendant la premiere moitie du siecle et, d'autre part, parce qu'il emane directement de Napoleon III, celui qui etait en fin de compte responsable de la creation d'un Paris moderne (p. 227). Dans ses travaux, la Commission reprit les themes discutes jusque-la et aborda les relations entre l'environnement urbain et la sante publique, l'ordre et la securite et le commerce. Surtout, le rapport de la Commission redige par le comte Simeon constitue selon Papayanis une preuve de l'assimilation, par les autorites, d'une conception de la ville moderne articulee pendant le premier 19e siecle, a savoir celle d'une ville securitaire pour ses habitants et le commerce, concue et amenagee de fa�§on organique afin d'assurer le mouvement fluide des populations, des produits, de l'air et de la lumiere (p. 246). En lien etroit avec le developpement de cette vision nouvelle de la ville, les travaux et les conclusions de la Commission demontrent egalement, selon l'auteur, le developpement d'une reflexion sur l'amenagement de la ville a laquelle n'aurait fait defaut qu'un seul element, l'existence formelle de la profession d'urbaniste, pour pouvoir etre qualifiee de moderne (p. 248).
L'ouvrage montre enfin que le modele d'amenagement progressif developpe pendant la premiere moitie du 19e siecle se pretait bien a l'etablissement d'une hegemonie sur la ville qui repondait aux besoins de l'Etat, de l'economie capitaliste et des classes moyennes. Les autorites politiques et les commentateurs urbains temoignaient en effet d'une foi enorme en leur vision de la ville moderne, qui requerait ordre, securite, hygiene et circulation efficace des produits et des personnes, et en leur expertise technique pour creer celle-ci. La ville et son amenagement furent donc penses du point de vue des elites qui, le plus souvent, ignorerent les interets subjectifs de la population ordinaire et des travailleurs et ce, peu importe l'orientation ideologique qui les animait. Faisant intervenir a differents moments les reflexions theoriques de Zygmunt Baumann, Gilles Deleuze et Felix Guattari, Mary Douglas, Michel Foucault, Henri Lefebvre, Karl Marx, Richard Sennett et Paul Virilio, l'ouvrage ouvre donc des perspectives plus larges sur les rapports entre l'amenagement urbain et les questions du pouvoir, du controle et de l'economie.
La demonstration presentee par Papayanis est en definitive convaincante et repose sur une recherche meticuleuse. L'une des principales forces de l'ouvrage consiste sans doute dans le choix et l'utilisation des sources par l'auteur. Pour prouver sa these, Papayanis met a contribution un tres large eventail de documents, allant des textes bien connus aux projets anonymes, et met a jour une discussion sur la ville et l'amenagement qui va bien au-dela des seules propositions de quelques grands auteurs pour s'interesser surtout aux textes de leurs epigones--ainsi les propositions des Henri de Saint-Simon et Charles Fourier ne sont-elles que brievement rappelees par Papayanis qui souligne a plusieurs reprises la distance prise par les disciples avec certaines propositions de leurs maitres. Le corpus montre aussi que ces discussions, si elles demeurerent le fait des elites, rassemblerent intellectuels, architectes, ingenieurs, fonctionnaires et politiques et se manifesterent a travers les journaux, les documents officiels et les etudes emanant de commissions d'enquetes. Des preuves solides sont ainsi apportees de l'existence, pendant le premier 19e siecle, d'un large debat sur la forme et la fonction de la ville, qui s'exprima dans des termes tres proches de l'urbanisme moderne, et qui merite d'etre etudie pour lui-meme. En outre, si l'ouvrage est precieux pour les historiens de Paris et les dix-neuviemistes, il sera egalement une lecture utile pour les historiens du 20e siecle puisqu'il retrace les origines d'une vision de la ville et d'une forme d'amenagement qui a trouve sa pleine expression au 20e siecle. Selon Papayanis, l'ambition de rendre l'homme meilleur, par le biais d'un amenagement urbain rationnel, au coeur de la reflexion du premier 19e siecle, trouverait en effet chez Le Corbusier un representant exemplaire a travers ses plans pour l'amenagement de la ville contemporaine ideale (p. 252-256).
Notes
[1]. Georges-Eugene Haussmann, Memoires ed. Francoise Choay (Paris: Seuil, 2000); Michel Carmona, Haussmann (Paris: Fayard, 2000); Nicolas Chaudun, Haussmann au crible (Paris: Editions des Syrtes, 2000); Georges Valance, Hausmman le grand(Paris: Flammarion, 2000); Jean des Cars et Pierre Pinon, Paris-Haussmann, le pari d'Haussmann(Paris: Ed. du Pavillon de l'Arsenal; Picard, 1991); Pierre Pinon, Atlas du Paris haussmannien. La ville en heritage du Second Empire a nos jours(Paris: Parigramme, 2002).
[2]. Karen Bowie, ed., La Modernite avant Haussmann: formes de l'espace urbain a Paris, 1801-1853 (Paris: Ed. Recherches, 2001).
[3]. Francoise Choay, L'Urbanisme. Utopies et realites: une anthologie(Paris: Seuil, 1965); "Pensees sur la ville, arts de la ville," in La Ville de l'age industriel. Le cycle haussmannien, ed. Maurice Agulhon (Paris: Seuil, 1998), pp. 170-284.
[4]. Le rapport de la Commission a ete conserve dans des archives privees et fut acquis il y a quelques annees par la Bibliotheque administrative de la ville de Paris. Le directeur de cette bibliotheque, Pierre Casselle, en a fait recemment la publication. Pierre Casselle, ed., Commission des embellissements de Paris: Rapport a l'empereur Napoleon III redige par le comte Henri Simeon (decembre 1853) (Paris: Rotonde de La Villette, 2000).
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Citation:
Julie Allard. Review of Papayanis, Nicholas, Planning Paris before Haussmann.
H-Urban, H-Net Reviews.
May, 2005.
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